Projet de recherche n°7: Le crime organisé: nouvel acteur dominant dans le cyberespace?

Contexte

Deux milliards de dollars : c'est le coût estimé de la cybercriminalité en 2019[1]. Le cyberespace est le nouveau paradis des réseaux criminels. Premièrement, le coût d'entrée est très faible, le risque de détection, de perturbation et de répression est faible, et les échappatoires réglementaires sont faciles à exploiter[2]. Même pour les fraudes et les pirates informatiques les plus complexes, les réseaux criminels n'ont besoin que d'une connexion Internet, d'un ordinateur et de logiciels ou programmes malveillants (virus) à des prix de plus en plus attractifs. La main-d’œuvre n’est pas non plus difficile à trouver, les cyber-mercenaires gagnent en réputation et se forgent une identité en travaillant avec ou contre certains États, pour certains principes cyber-politiques (neutralité de l’internet par exemple) ou en devenant des cyber-filiales de grandes mafias. La location de capacités cyberoffensives au plus offrant[3]  et la force de ces réseaux parapublics entraînent une imbrication croissante de ces groupes criminels avec les États[4]. Cette coopération tend à renforcer considérablement la capacité de ces réseaux et la disponibilité de moyens techniques avancés dans le Darknet pour tous les réseaux criminels du monde, comme illustré par les virus WannaCry et NotPetya.

Outre la sophistication des modes opératoires criminels et le renforcement de leurs structures, la cybercriminalité offre la possibilité de générer de nouveaux profits en identifiant de nouvelles opportunités d’enrichissement, en proposant constamment de nouveaux services innovants et, si possible, en tirant parti de sources de revenus faciles[5]. La numérisation des vices de la société, notamment la prostitution et le jeu, les drogues synthétiques ou les armes, est une source importante de revenus pour les réseaux criminels.

Cybermenaces émergentes

Aujourd'hui, la majorité de la cybercriminalité consiste encore en un logiciel de rançon, qui permet de garder les données en otage [6]. Jusqu'à présent, l'approche des réseaux criminels reposait sur le volume d'opérations souvent dispersées et à revenu relativement faible. Cependant, 98% des données sont maintenant numérisées dans le monde entier et cette part continue d'augmenter. Le cyberespace est donc le moyen de transporter des données de plus en plus précieuses, mais c’est aussi un vecteur de coercition avec l’utilisation d’attaques DDOS (déni de service distribué), de virus de plus en plus sophistiqués (Wannacry par exemple) ou de cyber-attaques de type StuxNet. Par exemple[7], l'utilisation croissante des méthodes de paiement à distance, l'augmentation du nombre de transactions électroniques et la délocalisation de données offrent aux réseaux criminels de nouvelles possibilités de monétiser les identifiants, les informations personnelles et les données provenant d'actifs immatériels qu'ils extorquent, notamment en les vendant à des entreprises légitimes, au chantage de personnes les opérateurs[8].

Des cybercriminels ont récemment racheté des entités privées et publiques, telles que l'hôtel de ville d'Atlanta aux États-Unis, et ces prises d'otages ont entraîné une augmentation significative du prix moyen facturé pour le déverrouillage des données ou de l'accès au réseau. Le ciblage et la construction de fraudes financières en ligne se sont également améliorés, en particulier sous l’influence des syndicats du crime nigérians[9]. Le nombre d'attaques a également considérablement augmenté avec le vol de données, pouvant inclure des industries entières de l'armement, les données de consommateurs d'une entreprise, l'influence d'une élection ou toutes les données de santé publique d'un pays. L'impact sur ces entreprises et institutions publiques (en termes de finances, d'opérations ou de réputation) et in fine sur la vie des citoyens peut être catastrophique.

En effet, le nombre d'appareils en réseau (50 000 milliards en 2040 selon certaines estimations), de données collectées et enregistrées automatiquement ou d'infrastructures et d'industries automatisées continuera à augmenter dans les années à venir. Toutes ces données, empreintes digitales et signatures numériques individuelles ou collectives, ou le contrôle de ces entités automatisées deviendront une proie de choix pour les réseaux criminels. Ces développements créent non seulement de nouvelles vulnérabilités exploitables en termes de vol et de fraude, mais également en termes de pouvoir. En effet, le chantage qu'un réseau criminel peut exercer sur un État, des multinationales ou des gouvernements sur la base de leur propriété ou du contrôle de leurs données numériques pourrait constituer une cyber-puissance majeure[10].

Questions de recherche associées

  • Mener des études transversales, allant de la psychologie à l'ingénierie sociale et sociétale, et en particulier concernant le modus operandi des cybercriminels afin d'étudier leurs profils, leurs chemins de recrutement et de guérison, mais aussi d'identifier leurs vulnérabilités et les meilleurs moyens de les combattre.
     
  • La montée d'acteurs criminels dans la cyber-protection peut-elle contester la souveraineté des États et modifier l'équilibre des pouvoirs dans les relations internationales?
     
  • Les mafias pourraient-elles développer un nouveau pouvoir d'intermédiation entre les États et les populations à travers le cyberespace?
     
  • Le cyberespace confère-t-il structurellement un avantage plus important que l'expansion du pouvoir de la mafia sur tout autre acteur de la scène internationale?
     
  • Quels sont les exemples français du développement de nouveaux foyers criminels dans le cyberespace?
 

[2] Baumard, Ph, "Comparing National Approaches and Doctrines in Cyber-Security", International Forum on Cyber-Security Cooperation. Garmisch 23/04/2013         

[3] Champeyrache, Clotilde, "Crime Societies. A world tour of mafias", CNRS editions, Paris. Reissue in pocket format / new pocket edition: 2011.

[4] Gayraud Jean-François and Thual François, "Geostratégie du crime", Odile Jacob, Paris, 2012.

[5] Adeniyi, T. 2015, "Nigerian Cyber-crime in Nigeria hits $9.3bn annually", Daily Trust (online).

[6] Cockayne, J. (2016), "Hidden Power: the Strategic Logic of Organized Crime" ,Oxford University Press.

[8]James Cockayne, "Chasing Shadows : Strategic Responses to Organised Crime in Conflict-Affected Situations", The RUSI Journal, vol.158, pages 10-24, 28 Avril 2013.