Axe 4 - Grande criminalité organisée (GCO) et criminalités émergentes
Dr. Clotilde Champeyrache (MCF HDR ESDR3C)
Chercheurs associés : Pr. Giuseppe Arlacchi, Dr. Frédéric Debove, Pr. Xavier Latour, Pr. Philippe Reigné, Pr. Maurice Cusson, Pr. Jacques de Saint Victor.
Experts associés : Christophe Soullez, Hugo Zsolt de Sousa.
Doctorants : Juliette Villeroy.
Cet axe a pour objet d’étude la diversité et les spécificités des différentes organisations criminelles. Il s’articule autour de projets de recherche sur les thématiques des Mafias et leurs stratégies d’expansion territoriale, des cohabitations criminelles de la sphère légale et le marché de la transgression.
Comprendre la diversité et les spécificités des différentes organisations criminelles passe notamment par la question de la spécialisation ou de la diversification des activités, mais aussi par celle de la nature du positionnement vis-à-vis de la sphère légale (liens corruptifs, nécessité du blanchiment, trajectoire de légalisation, contrôle du territoire et volonté de conditionnement de la sphère économique, politique et sociale). La problématique de la temporalité permet également de classer les organisations et d’établir un premier diagnostic de dangerosité suivant la capacité de l’association criminelle à perdurer au-delà de la durée de vie de ses membres et notamment de son chef. Cerner les frontières des groupes criminels ouvre alors nombre de questionnements relatifs à aux diverses structurations des organisations criminelles (réseau, pyramide, fédération, etc.), à l’adaptation des moyens de lutte aux spécificités de ces groupes, à la dynamique de ces derniers et à leurs interactions, voire à leurs articulations tant du point de vue des activités que des territoires.
La dynamique des organisations criminelles tient également compte de l’apparition de nouveaux acteurs et des éventuelles reconfigurations que cela implique, et du développement de nouvelles activités (cybercriminalité, trafic de déchets, etc.) ou du redéploiement d’anciennes pratiques illégales (retour de la piraterie par exemple).
Clotilde Champeyrache a notamment publié “A Commonsian Approach to Crime : The Mafia and the Economic Power of Withholding », Cambridge Journal of Economics, vol.45, n°3, p.411-425, 2021, qui illustre comment l’institutionnalisme original américain à la Commons apporte des instruments d’analyse pertinents pour comprendre le crime. La démonstration s’appuie sur l’exemple de l’infiltration mafieuse dans l’économie productive légale en en identifiant la capacité de conditionnement sur les autres acteurs économiques et politiques. Cet article a été retenu comme “editor’s choice” du numéro (Volume 45 Issue 3 | Cambridge Journal of Economics OUP, qui sera suivi d’un ouvrage à paraître en 2024 (titre provisoire : Economics of Organized Crime: An Original Institutional Approach, Routledge).
Cet axe de recherche développe une approche pluridisciplinaire en affinité avec les pratiques du master et du laboratoire en développant une analyse géopolitique des phénomènes mafieux. Il n’y a pas de lien systématique entre crises économiques et essor du crime, et on a même pu prouver que les années 1930 ont été des années plutôt « paisibles » sur le plan criminel. Mais, en fragilisant les États, les périodes de récession, si elles ne débouchent pas, comme à l’époque de Roosevelt, sur un retour de la puissance publique, deviennent logiquement propices au crime organisé, et en particulier aux mafias.
Comment pourrait-il en aller autrement ? Les mafias sont en effet des sociétés secrètes très sophistiquées qui constituent ce qu’on pourrait appeler « l’aristocratie du crime ».
Par les sommes dont elles disposent, les mafias constituent des menaces de premier plan pour les pouvoirs légaux, devenant aujourd’hui une question centrale de la réflexion géostratégique. En effet, elles rivalisent localement avec certains États, ayant su tisser des liens « symbiotiques » avec leur environnement politico-économique. De sorte que, tout en « contrôlant » certains territoires, elles disposent de protections décisives au sein des élites locales, parfois nationales. Cela ne veut pas dire pour autant que l’État soit « criminel », comme le prétend une certaine littérature : il est même, tant qu’il n’a pas entièrement basculé dans l’anomie (cas des États faillis, les fameux failed states), la seule instance – encore aujourd’hui dans le cadre global – susceptible d’apporter une réponse crédible à cette violence particulière.
Ce qui est vrai, en revanche, c’est que l’État est victime d’un « syndrome de Janus » : il peut être partagé, en son sein, entre ceux qui combattent le crime au nom du droit et ceux qui préfèrent passer des « pactes scélérats » (pactum sceleris) avec les forces criminelles. Les figures antinomiques du juge Falcone et du président Andreotti résumaient, dans l’Italie des années 1980, cette dialectique complexe. Par ailleurs, les mafias renforcent leur puissance en tissant des liens avec certains milieux économico- financiers. Plus ces derniers évoluent dans un environnement dérégulé, moins ils hésitent à s’appuyer sur les forces du crime pour prospérer (ou se maintenir en place). Par un certain nombre de ces dynamiques, la mondialisation financière a renforcé depuis une vingtaine d’années ce cercle vicieux politico-affairisto-criminel si complexe qu’il est parfaitement vain de penser pouvoir le briser entièrement. C’est ainsi que dans tous les pays où il existe de véritables « mafias » (Italie, États-Unis, Japon, Turquie, Albanie, etc.), l’histoire enseigne que tous les efforts répressifs n’ont jamais permis d’éradiquer définitivement leur présence. C’est de l’environnement économique et social (société régulée ou dérégulée) que dépend principalement la porosité d’une société au risque mafieux.
Précisons que si le phénomène mafieux est très spécifique, cela ne signifie pas que les autres formes de criminalité organisée (cartels, gangs, « méga-gangs », et autres bandes de banlieue) ne constituent pas des formations moins dangereuses. Elles peuvent même parfois être beaucoup plus agressives ou sanguinaires que les mafias et compter beaucoup plus de membres. C’est le cas des « méga-gangs » latino-américains comme la Mara Salvatrucha du Salvador, qui compte plus de 11 000 « soldats ». Pour autant, ces gangs ne disposent généralement pas d’une structure et de liens politico-économiques qui puissent laisser croire, en l’état des connaissances, à leur survie sur la « longue durée » (F. Braudel).
Ce concept est très utile pour saisir si, face à une organisation criminelle – quel que soit son degré apparent de violence –, on se trouve en face d’une véritable mafia ou d’une simple bande organisée, même très impressionnante, qui se dissoudra à la capture de son chef.
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